Le paiement des loyers fait l’objet de demandes nombreuses de certains preneurs du fait de l’état d’urgence sanitaire, souhaitant notamment leur suppression.
Le gouvernement a été autorisé par la loi 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence à prendre des mesures par voie d’ordonnance pour tenter de pallier aux difficultés liées au confinement imposé aux français.
Deux ordonnances ont été rendues dans le domaine qui nous intéresse : celle n° 2020-316 du 25 mars 2020 et celle n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020.
Outre ces mesures, les preneurs sont tentés d’exciper du droit commun des contrats ou du bail pour tenter de s’exonérer de leurs obligations.
Nous examinerons successivement ces deux points. Les observations qui suivent sont liées aux textes légaux et réglementaires en vigueur à ce jour et ne préjugent pas d’une évolution législative ou réglementaire, ni de l’appréciation qui sera portée par les Tribunaux sur ces diverses questions
juridiques.


1) Les dispositions COVID 19

Les mesures prises par le gouvernement ne concernent que les baux commerciaux ou professionnels et non les baux d’habitation.

1-

L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 est relative au paiement des loyers des locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par l’épidémie.
Sont susceptibles de bénéficier de cette mesure les entreprises pouvant bénéficier du fonds de solidarité, celles poursuivant leur activité dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
Les conditions pour que l’entreprise bénéficie de la mesure sont les suivantes : activité débutée avant le 01/02/2020, effectif inférieur à 10 salariés, chiffre d’affaires antérieur inférieur à 1 millions d’euros, avoir fait l’objet d’une interdiction d’accueil du public ou ayant subi une perte de chiffre d’affaires de 50 % par rapport au mois de l’année précédente et dont le bénéficie n’excède pas 60.000,00 €.
La loi du 23 mars 2020 permet, à ces conditions, le report intégral ou l’étalement du paiement des loyers, l’ordonnance n° 2020-316 indiquant que les personnes concernées ne peuvent subir de sanction en raison du défaut de paiement du loyer ou des charges.
En conclusion, les loyers et charges restent dus pour la période couverte par le dispositif mais leur non-paiement ne sera pas sanctionné.
Les loyers et charges concernés sont ceux entre le 12 mars et l’expiration d’un délai de deux mois après la date de cessation de l’état d’urgence (aujourd’hui le 24 mai 2020).
Les loyers et charges concernés par la mesure pour les micro-entreprises sont donc ceux du 12 mars au 24 juillet 2020.

2-

L’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 a été modifiée par celle n° 2020-427 du 15 avril 2020.
Elle concerne tous les débiteurs d’obligations contractuelles : les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire.
Si le débiteur n’exécute pas son obligation, la date de prise d’effet des sanctions est reportée d’une durée calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre d’une part le 12 mars 2020 ou la date de naissance de l’obligation si elle est plus tardive et d’autre part la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
La neutralisation des sanctions n’est que reportée que d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Une action en paiement est en revanche toujours possible ainsi que les sanctions légales (exception d’inexécution, résiliation unilatérale, résolution judiciaire ou responsabilité contractuelle). Seules sont suspendues les sanctions contractuelles.
La période d’état d’urgence se termine aujourd’hui le 24 mai 2020, la période juridiquement protégée s’achèvera donc le 23 juin 2020 à minuit.
Cette mesure ne semble toutefois pas pouvoir être appliquée aux loyers puisque l’ordonnance 2020-306 exclut son application aux délais et mesures ayant fait l’objet d’adaptation particulière, ce qui est le cas pour les loyers de l’ordonnance 2020-316. Ce point sera certainement débattu devant les Tribunaux.

2) le droit commun du Code civil

3-

La crise du COVID 19 est intervenue postérieurement à la conclusion des baux et les causes de nullité liées à la formation du contrat n’ont pas vocation à s’appliquer.
En revanche, le locataire peut soulever plusieurs mécanismes juridiques pour tenter d’obtenir, non pas un simple report, mais une suspension des loyers pendant la période de crise sanitaire.

4-

L’imprévision prévue à l’article 1195 du Code civil permet, lorsqu’il existe un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, de demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
Cette disposition n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016 et uniquement si le mécanisme de l’imprévision n’est pas exclu par le bail.
En cas d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat ou de demander au juge de réviser le contrat ou encore une partie peut saisir le juge soit pour résoudre le contrat, soit pour le réviser.
La doctrine actuelle admet la possibilité pour ce texte de s’appliquer à la crise actuelle.
Néanmoins, le texte vise les situations qui affectent durablement l’exécution de la convention. En l’espèce, si la période d’état d’urgence venait à durer deux ou trois mois, il ne me semble pas que les dispositions de ce texte aient vocation à s’appliquer.
Quoiqu’il en soit, les dispositions qui pourraient être renégociées seraient la périodicité du loyer concernant cette même période sanitaire d’urgence.
La difficulté est que le Juge disposerait d’une très grande latitude pour apprécier la révision du contrat : annulation des loyers, report avec échéancier…
Cette disposition peut donc entraîner une annulation de la dette locative pour la période considérée à la condition toutefois que le locataire saisisse le Tribunal ou bien attende une procédure judiciaire du propriétaire pour reconventionnellement faire état de ces dispositions.

5-

La force majeure est prévue à l’article 1218 du Code civil et permet à un débiteur, face à un événement qui l’empêche d’exécuter ses obligations, d’être définitivement libéré de cette exécution lorsque l’empêchement est définitif.
Si l’empêchement est simplement temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat.
La jurisprudence admet restrictivement la force majeure qui doit rendre l’exécution impossible et refuse toute force majeure pour une obligation de payer une somme d’argent. La Cour de cassation a néanmoins admis un cas de force majeure lorsque le locataire n’avait pu payer son loyer du fait de sa banque, le virement n’ayant pu être effectué suite à divers incidents (panne informatique).
Il s’agit toutefois de la réalisation matérielle du paiement et non de difficultés financières en lien avec une crise.
De même, le locataire ne peut pas invoquer la force majeure l’empêchant d’exercer son droit de jouissance.
Le locataire est titulaire d’un droit à jouir de son local. Or, on ne peut opposer la force majeure que pour une dette (impossibilité d’exécuter son obligation de payer le loyer) et non pour une créance (impossibilité quant à l’exercice de son droit).
La force majeure ne devrait donc pas trouver application devant les Tribunaux pour des cas de suspension du loyer.

6-

L’inexécution de l’obligation de délivrance et de faire jouir le locataire paisiblement des lieux (article 1719 du Code civil).
Le bailleur doit être en mesure de laisser le preneur accéder à ses locaux et les occuper physiquement. Dès lors que le propriétaire met à disposition le local loué afin que le preneur puisse en jouir, il exécute son obligation de délivrance.
Si le preneur ne peut jouir des locaux du fait du confinement de son personnel, les loyers restent dus car il s’agit de l’impossibilité d’un droit de jouissance en raison d’un cas de force majeure qui ne dispense pas de l’exécution de la contrepartie, payer les loyers. C’est le cas des bureaux.
Pour les établissements commerciaux recevant du public, qui sont visés par des mesures de fermeture et d’interdiction de toute activité, il convient de distinguer entre l’interdiction visant l’immeuble ou l’interdiction visant l’activité du preneur.
Si l’interdiction administrative vise l’immeuble (exemple arrêté de péril), le bailleur empêche de mettre à disposition du locataire le bien immobilier conformément à la destination convenue.
En revanche, si l’interdiction administrative vise l’activité, le bailleur ne manque pas à son obligation de délivrance puisque l’interdiction ne vise que l’impossibilité pour le preneur d’exercer son droit de jouissance en raison d’un cas de force majeure.
Sauf clause contractuelle prévoyant ce cas, il semble donc que le propriétaire remplisse son obligation de délivrance et n’ait pas à accorder une suspension des loyers sur ce fondement.

7-

La destruction de la chose prévue à l’article 1722 du Code civil peut enfin être opposée par le locataire.
La Cour de cassation a admis qu’une impossibilité de jouissance temporaire résultant d’un cas fortuit pourrait justifier d’une diminution des loyers.
Toutefois, ainsi que nous l’avons vu supra pour l’obligation de délivrance, le cas fortuit doit affecter l’immeuble lui-même.
Si les Tribunaux considèrent que l’état sanitaire affecte l’immeuble lui-même, les loyers pourront être suspendus et s’ils considèrent que la décision de fermeture ne vise que l’activité du preneur, cette demande sera rejetée.


En conclusions, les mesures prises par le gouvernement n’autorisent pas les locataires à solliciter la suspension des loyers mais uniquement un report ou un échelonnement.
Sur le plan du droit commun, seule la théorie de l’imprévision pourrait être recevable mais elle nécessite que le locataire sollicite une renégociation du contrat puis, en cas d’échec, saisisse le Juge.
Il n’est pas certain que les conditions d’application de l’imprévision soient admises par les Tribunaux et que les juridictions acceptent sur ce fondement d’annuler purement et simplement les dettes de loyers issues de la période d’urgence sanitaire.